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10th December 2024
La CSRD et la performance globale changent le métier des dirigeants et des managers

La CSRD et la performance globale changent le métier des dirigeants et des managers

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La vision holistique de la CSRD a parfois du mal à convaincre malgré sa pertinence, parce qu’elle fait entrer managers et dirigeants dans la complexité. Mais nous n’avons plus le choix : le dépassement des limites planétaires et la formation de bulles d’éruptions sociales nous obligent à mettre en place les moyens de réconcilier :

  • l’économique et le social (Antoine Riboud),

  • le social et l’écologique (« fin du mois et fin du monde »),

  • l’économique et l’écologique (recherche d’une croissance respectueuse des limites planétaires).

Le C3D (club des directeurs du Développement durable) met lui aussi l’accent sur cette conciliation : « Le C3D considère la régulation CSRD comme un cadre de référence, à ajuster en tant que de besoin pour éviter les excès, pour accompagner la transformation des entreprises, afin qu’elles puissent continuer à créer de la valeur économique sans détruire la valeur écologique. C’est un enjeu de pérennité »[29].

Dans les cercles de dirigeants, l’IFA (Institut Français des Administrateurs) a publié un rapport sur « Le conseil d’administration et l’information extra-financière » (avril 2021), qui commence par poser ainsi le cadre : « L’entreprise devra adapter son modèle d’affaires aux conditions d’une économie durable, qui associe rentabilité à long terme, justice sociale et protection de l’environnement ainsi qu’aux contraintes qu’engendrent les transitions écologique, sociale et numérique ».

De son côté, l’Efrag, qui est à l’origine des ESRS, définit ainsi la notion d’impact : « l’impact vise la contribution de l’entreprise, négative ou positive, au développement durable »[30]. Les trois piliers du développement durable sont à nouveau mis au centre.

Viser la performance globale consiste à combiner la performance opérationnelle – ce que les Américains désignent souvent par le terme « business performance) avec la RSE (recherche d’impacts ESG). Ce n’est pas une démarche qui va de soi. L’entreprise est verticale, avec un patron, une hiérarchie ; la RSE est horizontale, tournée vers les parties prenantes. L’entreprise est organisée autour de la performance opérationnelle, la part de marché, la croissance des ventes, la productivité, le cash-flow, le profit ; la RSE est inspirée par le respect des parties prenantes, elle s’exprime dans le qualitatif, elle a du mal à compter. Ce qui les réunit, c’est la notion de progrès. La performance globale, c’est celle du « en même temps »… Il est d’ailleurs primordial de ne pas oublier le client et la performance opérationnelle dans l’élaboration des projets RSE : les gens ne travaillent pas pour eux ; leur fierté professionnelle est liée pour une bonne part, à l’appréciation de leur travail par les clients ou usagers.

Le métier de dirigeant ou de manager prend ainsi tout son sens – et sa complexité : il ne s’agit plus d’être une simple courroie de transmission de ses actionnaires, de son Conseil ou de ses supérieurs hiérarchiques. Agir et décider dans le cadre de la performance globale suppose d’abord une écoute et une compréhension des attentes de ses parties prenantes dans leur diversité, ensuite la capacité à arbitrer, peser les avantages et inconvénients pour chacune, et enfin d’être capable de rendre compte (redevabilité), d’expliquer ses décisions.

L’enjeu du management est de faire fonctionner la recherche de compromis entre les différentes facettes de la performance (contrairement à une certaine conception du lean management, qui aboutit à écraser toutes les facettes par une seule). La performance est le fruit d’une énergie, qui elle-même dépend de l’implication, plus importante que la compétence car elle la potentialise. Or, il n’y a pas d’implication sans un management de qualité.

Après tout, ce n’est pas à l’absolutisme actionnarial ou à la quête exclusive du profit que s’oppose la performance globale, mais plutôt à une vision univoque des parties prenantes. Une association qui ne tiendrait compte d’aucune autre partie prenante que celle qui est au centre de son projet associatif est tout aussi étrangère à la performance globale que l’entreprise privée qui poursuivrait uniquement le profit. La spécificité de la performance globale est d’amener les décideurs et les managers à chercher une performance multidimensionnelle et à assumer les contradictions, les paradoxes, les dilemmes et les compromis qui en résultent.

Dans toute organisation, il faut trouver des modes de résolution des tensions entre des objectifs divergents. Les tensions entre la qualité des produits, la satisfaction du client, le bien-être de salariés, la largeur des choix offerts, les exigences de rentabilité des actionnaires, etc. sont quotidiennes dans les entreprises. La performance globale ne fait que les prolonger en y intégrant le respect de l’éthique et de l’environnement, ainsi que des objectifs sociétaux (diversité, santé au travail,…). Une prise en compte simultanée, dans une approche systémique, des préoccupations des différentes parties prenantes (pas seulement les apporteurs de capitaux) en recherchant un équilibre entre leurs intérêts, leurs attentes et leurs motivations : c’est l’approche de performance globale, qui doit s’appuyer sur des politiques et des données enchâssées dans la CSRD.

Réfléchir à la notion de performance permet de faire émerger ces tensions, d’en parler, de discuter des arbitrages entre des objectifs qui ne sont pas toujours convergents. La performance globale incite à rechercher les équilibres dans une réflexion qui amène à s’interroger collectivement sur la finalité de l’entreprise. Cette réflexion sur les interdépendances entre l’entreprise et son écosystème est susceptible de générer des innovations et des reconfigurations du business model (identification de nouvelles sources de revenu, de partenariats potentiels, de réallocation de ressources, de recomposition de la chaîne de valeur).

Cette réflexion collective sur la performance globale ouvre une démarche de choix et de hiérarchisation sur l’utilité sociale de l’entreprise : qui sommes-nous, à quoi servons-nous, qu’apportons-nous à la société en général et à nos parties prenantes en particulier ? Cette démarche est essentielle à la construction du projet stratégique de l’entreprise – ce que les anglo-saxons désignent par le terme intraduisible de « strategic intent » — et suscite de la part des dirigeants, une réflexion extrêmement fertile pour rendre visible ou faire émerger une utilité sociale à leur projet entrepreneurial. En effet, elle nécessite de s’interroger sur les fondamentaux de l’entreprise, son identité, les valeurs qu’elle porte, la compatibilité de son action avec l’intérêt général et le « bien commun ». Elle conduit à rechercher les buts communs, les intérêts partagés, les convergences de stratégie au sein de l’entreprise mais également en intégrant l’ensemble de son écosystème. C’est le début du chemin vers la raison d’être.

La performance globale ne se cantonne pas à la gouvernance et à la prise de décision stratégique. Elle est aussi un outil de management. La question montante du sens au travail, qui génère de nombreux débats dans les entreprises, n’est rien d’autre qu’une manifestation de l’insuffisante prise en compte de la performance globale par les entreprises. Comment, en effet, trouver du sens à son travail lorsqu’il se réduit à une exigence de production de valeur pour les seuls actionnaires ? Comment trouver du sens à son travail si sa dimension sociale, ce que l’on appelait autrefois son « utilité sociale » n’est pas affirmée, si sa contribution aux grands enjeux du monde n’apparaît pas comme une évidence ? On se rapproche ici de la conception de la performance selon Yves Clot, professeur émérite de psychologie du travail au Cnam : « La performance n’est pas seulement le chiffre comptable mais aussi bien l’efficacité du geste, la qualité du produit ou la possibilité individuelle et collective de se reconnaître dans ce qu’on fait »[31].

La CSRD permet d’outiller l’approche de performance globale pour rendre son avancement et ses résultats dans les entreprises visibles par les investisseurs, les partenaires d’affaires et plus largement les parties prenantes. Au même titre que ces acteurs se procurent les états financiers, ils examinent le rapport de durabilité pour apprécier la situation de l’entreprise et prendre leurs décisions.

Ainsi par exemple, Alex Edmans et deux de ses collègues ont étudié les choix d’investissements opérés par 509 gestionnaires de portefeuilles de fonds[32]. Ils montrent que 77% d’entre eux sont influencés par les performances environnementale et sociale dans leurs décisions d’investissement.

La performance globale accompagne les dirigeants qui de plus en plus s’investissent sur des problématiques et des enjeux qui dépassent les frontières organisationnelles de leur entreprise et concernent les rapports entre l’entreprise et la société (voir « Pour une éthique du dirigeant : l’entreprise comme problème ET comme solution »). A cet égard, la 10ème étude CEO Outlook du cabinet de conseil et d’audit KPMG, publiée en septembre 2024, met très clairement en lumière le sentiment de responsabilité croissante chez les chefs d’entreprise, même si les dirigeants français sont encore en retrait (72 % dans le monde, 64 % en France)[33].

Car ils voient désormais dans la notation ESG (environnement, social et gouvernance), longtemps considérée comme un surcroît de normes pesant sur les acteurs de l’économie, une source de compétitivité et de création de valeur. A 75 %, par exemple, les dirigeants français estiment que les citoyens attendent des entreprises qu’elles jouent un rôle environnemental et sociétal, même s’ils sont conscients de la difficulté à tenir ce rôle. Non seulement 80 % des dirigeants français jugent l’ESG de mieux en mieux intégrée à la création de valeur économique de leur entreprise, mais l’ESG est désormais un enjeu de compétitivité pour les CEO français. Sa non-intégration pourrait même, pour 28 % d’entre eux (contre 24 % des CEO mondiaux), donner un avantage à leurs concurrents.

Extrait du Dossier CSRD en ligne sur le site Management & RSE > La CSRD est un outil de management de la performance globale. Merci à Martin Richer pour cet extrait.

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A propos de l’auteur

Martin Richer

Diplômé d’HEC, Martin Richer a effectué la plus grande partie de son parcours dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis. Il a notamment été directeur du marketing d’Oracle Europe et Vice-Président Europe de BroadVision puis a rejoint le Groupe Alpha en 2003 et intégré son Comité Exécutif tout en assumant la direction générale de sa filiale la plus importante (600 consultants) de 2007 à 2011. Depuis 2012, Martin Richer exerce ses activités de conseil dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Plus d’informations sur Management & RSE.

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